Marine Jeantet, directrice générale de l’Agence de la biomédecine, poursuit ses visites des centres de greffes et des centres de procréation médicalement assistée (PMA) sur le territoire national. Le 24 janvier, elle était au CHU de Poitiers où elle a inauguré les nouveaux locaux du centre de PMA. Ceux-ci ont fait l’objet d’une réorganisation et d'une rénovation pour fluidifier le parcours des patients et pour leur offrir plus de confort. Elle a également rencontré les professionnels du prélèvement et de la greffe de l’établissement.
Le rapport 2023 de l’Agence de la biomédecine faisait état d’une augmentation des greffes d’organes qui malheureusement s’accompagnait d’une augmentation de la liste d’attente. Quelle est la tendance pour 2024 ?
Nous allons bientôt publier les chiffres mais je peux déjà vous donner les tendances qui sont plutôt bonnes. Nous avons dépassé la barre symbolique des 6 000 greffes au niveau national en 2024. C’est un très bon résultat, le résultat des équipes de prélèvement et de greffe qui sont à la manœuvre au quotidien. Un grand bravo à cette chaine de solidarité qui a très bien fonctionné. Il faudrait que l’augmentation de greffes perdure sur plusieurs années parce que la tendance épidémiologique démontre que malheureusement la liste de patients en attente de greffe va continuer de progresser.
Le rapport annonçait également une augmentation forte du taux d’opposition aux prélèvements d’organes. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quel message portez-vous à ce sujet vers le public ?
Nous sommes tous, par définition, donneurs, sauf si nous exprimons notre refus de notre vivant. Il y a deux manières de s’opposer : soit on s’inscrit sur un registre géré par l’Agence, soit on l’exprime à ses proches. Les refus de prélèvements sont rarement exprimés. Ils émanent très souvent des proches des défunts. Nous savons qu’une grande partie de ces refus découlent de l’absence de connaissance de la volonté du dernier. Les raisons de ces oppositions sont, sans nul doute, multifactorielles. En 2023, nous avions 36 % d’abstention alors que 80 % des français sont favorables au don d’organes.
Notre message, et celui que toutes les équipes de soignants relaient à leurs proches et dans leur environnement de travail, est qu’il est important d’exprimer sa volonté de son vivant. Les gens peuvent être pour ou contre le prélèvement d’organe mais ils doivent le dire clairement pour que leur volonté soit respectée. Cela soulagerait leurs proches.
Le vote de la loi de bioéthique a augmenté par huit les demandes de PMA. Comment l’agence de biomédecine accompagne-t-elle les centres pour répondre aux demandes ?
Nous avons mis en place plusieurs actions. Nous avons constitué des comités de suivi qui associent toutes les parties prenantes de la filière : le ministère de la santé, les directions des centres hospitaliers universitaires, les professionnels, les associations de patients, les agences régionales de santé et la Caisse nationale d’assurance maladie. Le ministère de la santé a soutenu cet accroissement en augmentant les moyens des centres de manière assez conséquente. Les comités ont permis de partager les problèmes des uns et des autres et ainsi de trouver des solutions pour fluidifier les parcours. Il s’agit de parcours complexes pris en charge pour moitié en ville, et pour moitié en milieu hospitalier. En juin dernier, nous avions plusieurs actions à mettre en place mais la dissolution du Parlement a malheureusement bloqué leurs avancées avec le retard de l’attribution des budgets.
Nous développons des webinaires à destination de tous les centres de PMA. L’un des gros projets de l’agence en 2025 est de construire un système d’information spécifique à l’assistance médicale à la procréation qui permettra d’avoir un bon suivi depuis le donneur jusqu’à l’attribution des ovocytes et puis tout au long de la prise en charge en AMP. Cela nous permettra d’être transparents, d’obtenir des données de traçabilité et des données de qualité des soins qui pourront alimenter des études.
Quels sont les grands enjeux de l’agence de la biomédecine pour 2025 ?
L’agence est en pleine évolution. Les enjeux principaux pour 2025 sont de poursuivre nos trois plans d’actions initiés en 2022 et qui vont jusqu’en 2026 : le plan pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus, le plan pour le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques et le plan pour la procréation, l’embryologie et la génétique humaines. Il s’agira pour nous d’atteindre les objectifs fixés sur la dernière ligne droite. Parallèlement, nous réfléchissons à nos prochains plans d’actions notamment avec la révision de la loi de bioéthique prévue en 2027 et le volet génétique qui est en devenir et pour lequel nous devons inventer un cadre à la fois réglementaire et éthique.
Quel était l’objet de votre visite au CHU de Poitiers ?
J’ai pris mes fonctions il y a deux ans maintenant. J’ai fait le choix de visiter tous les CHU de France pour aller à la rencontre des équipes. Il est, en effet, très important pour moi de bien comprendre les problématiques du terrain. J’ai découvert la diversité et la richesse des centres en termes d’organisation, de personnalité, de ressources ou de modalités de fonctionnement. C’est aussi une façon de les mettre en lumière et d’identifier les points de progrès. Et puis, cela me permet de connaitre les professionnels du terrain avec lesquels on travaille beaucoup. Nous pouvons par exemple identifier des professionnels dont l’expertise sera utile pour nos groupes de travail. Nous avons d’ailleurs rencontré ce matin au CHU de Poitiers, l’équipe d’assistance médicale à la procréation. C’est une équipe très soudée et très inventive. Les professionnels nous ont donné des idées très intéressantes. Notre rôle est justement de les accompagner. Ces visites ont également pour objectif de faire valoir auprès des directions hospitalières, les activités de l’agence, des activités de niche qui ne sont pas toujours vues comme une priorité.
Les spécialistes du prélèvement et de la greffe d’organe du CHU vous ont présenté leurs activités. Où se situe, d’après vous, le CHU de Poitiers ?
Le CHU de Poitiers a plutôt des bons résultats alors qu’il n’a pas toujours les mêmes moyens humains que les autres établissements. Ses activités sont tout de même assez fragiles et ne tiennent qu’à quelques personnes, à la bonne volonté et à l’implication de certains médecins qui ont à cœur d’assurer l’activité. Nous sommes très sensibles à ce que les greffes soient distribuées de façon homogène dans les centres sur le territoire. Cela permet un accès de meilleure qualité aux greffes. Les gros centres sont confrontés à des problèmes d’accès aux blocs opératoires. C’est pourquoi nous tenons à accompagner les centres plus petits qui ont des bons résultats mais qui manquent de ressources humaines.